Table des matières
- Des racines profondes : les débuts du bento au Japon ancien
- L'ère Momoyama (1573-1603) : les prémices de l'élégance
- L'époque Edo (1603-1868) : démocratisation et diversité
- L'ère Meiji (1868-1912) et l'arrivée des chemins de fer
- Le XXe siècles : entre tradition domestique et industrialisation
- Aujourd'hui : entre tradition, mode de vie sain et minimalisme
- Quels petits plats préparer pour son bento ?
Des racines profondes : les débuts du bento au Japon ancien
Le mot « bento » (弁当) signifie littéralement « quelque chose de pratique » ou « prêt à emporter ». Si ce terme n’a été largement popularisé qu’à partir de l’époque d’Edo (1603–1868), les origines du bento en tant que concept et pratique remontent à plusieurs siècles auparavant, précisément à l’ère Kamakura (1185–1333), une période marquée par l’émergence du gouvernement des samouraïs et par de nombreuses mutations sociales.
Durant cette époque, les besoins des guerriers, des travailleurs agricoles et des voyageurs ont conduit à la mise au point de solutions alimentaires transportables et durables. C’est ainsi que naît le hoshi-ii (干し飯), du riz blanc cuit puis séché à l’air libre. Cette méthode permettait de conserver le riz plus longtemps sans risque de fermentation ou de moisissure, dans un Japon où la réfrigération n’existait pas encore. Pour le consommer, il suffisait de le réhydrater avec de l’eau chaude ou froide.
Le hoshi-ii était conditionné dans de simples sacs en tissu ou dans des boîtes en bois non laquées, parfois fabriquées à partir de bambou, et transporté lors de longues campagnes militaires, de pèlerinages religieux ou de travaux en extérieur. Il est ainsi considéré comme l’ancêtre direct du bento, conçu à l’origine non pas pour être beau, mais pour être pratique, nourrissant, et facilement transportable.
Les samouraïs en particulier utilisaient ce type de repas mobile lors de leurs expéditions ou stations prolongées dans les provinces éloignées. De même, les paysans emportaient leur riz séché accompagné de quelques légumes saumurés ou d’un peu de poisson séché, constituant des repas frugaux mais suffisants pour soutenir un travail physique intense.
Ce premier usage du bento ne mettait pas encore l’accent sur la variété ou la présentation : l’essentiel était de pouvoir se nourrir de manière autonome, sans dépendre d’un foyer fixe, dans un Japon encore largement rural et marqué par les conflits féodaux.
L’ère Momoyama (1573–1603) : les prémices de l’élégance
L’ère Momoyama, courte mais foisonnante, marque une transition décisive dans l’histoire du Japon, tant sur le plan politique qu’artistique. Cette période de paix relative, enclenchée après des décennies de guerres civiles, voit l’essor d’une aristocratie militaire raffinée qui encourage les arts, l'architecture et les rituels de la vie quotidienne. Dans ce contexte d’effervescence culturelle, le bento se transforme de simple repas nomade, il commence à devenir objet de prestige, de raffinement et d’apparat.
C’est à cette époque que le contenu et le contenant du bento gagnent en noblesse. Les repas emportés lors des hanami (fêtes sous les cerisiers en fleurs), des parties de chasse ou des cérémonies du thé ne se présentent plus dans de simples sacs de toile ou boîtes rudimentaires. Ils sont désormais disposés avec soin dans des boîtes en laque, parfois ornées d’or, d’incrustations de nacre ou de motifs végétaux, selon les goûts esthétiques raffinés de l’époque.
Ces bento à plusieurs étages, appelés jubako (重箱), permettent non seulement de séparer les mets mais aussi de jouer avec les formes, les couleurs et les textures, créant une véritable mise en scène culinaire. Le placement des aliments n’est plus laissé au hasard : il reflète l’harmonie, le respect des saisons et le goût pour l’éphémère, valeurs au cœur de l’esthétique japonaise.
Par ailleurs, l’influence croissante de la cérémonie du thé (chanoyu), formalisée notamment par Sen no Rikyū, renforce cette attention portée aux objets, à la présentation, et à la beauté discrète des gestes du quotidien. Le bento, lorsqu’il accompagne un moment partagé en plein air ou une rencontre de lettrés, devient un prolongement de l’art de vivre prôné par cette culture du détail et de la contemplation.
À travers les bentos de cette époque, on voit émerger pour la première fois l’idée que le repas transporté peut être beau, réfléchi, et porteur de sens, non plus seulement nourrissant mais aussi révélateur d’un statut social, d’un goût esthétique, voire d’une philosophie de vie.
L’époque Edo (1603–1868) : démocratisation et diversité
L’époque Edo, période de stabilité politique sous le shogunat Tokugawa, marque un tournant majeur dans l’histoire du bento. Grâce à la paix intérieure, à la croissance des villes et à l’essor d’une culture urbaine florissante, le bento sort des cercles aristocratiques pour s’imposer dans la vie quotidienne des classes populaires, en particulier à Edo (l’actuelle Tokyo).
Le développement des arts, du théâtre, des loisirs et du commerce s’accompagne d’une diversification sans précédent des formes et usages du bento. Il devient un véritable objet culturel, à la fois pratique, convivial et révélateur des goûts et des modes de vie de la société d’Edo.
Le makunouchi bento : le bento du théâtre
L’une des formes les plus emblématiques de cette époque est le makunouchi bento (幕の内弁当), littéralement « bento de l’entracte ». Servi pendant les pauses des longues représentations de kabuki, il permettait aux spectateurs de se restaurer tout en prolongeant l’expérience théâtrale. Ce type de bento se distingue par sa composition élégante et équilibrée : une portion de riz blanc, un morceau de poisson grillé, des légumes mijotés ou saumurés (tsukemono), parfois un tamagoyaki (omelette roulée), et d’autres petites garnitures de saison.
Le makunouchi bento incarne l’idée de variété et d’harmonie dans un espace restreint, une esthétique qui perdure jusqu’à aujourd’hui. Sa popularité fut telle qu’il devint un standard dans les boutiques et les services de restauration, inspirant même les bentos industriels modernes disponibles dans les combinis (supérettes).
L’ère Meiji (1868–1912) et l’arrivée des chemins de fer
L’ère Meiji marque une transformation radicale de la société japonaise. À partir de 1868, le Japon s’ouvre à l’Occident, engage une politique de modernisation rapide, et développe des infrastructures industrielles et de transport à grande échelle. C’est dans ce contexte de mutation que le chemin de fer devient un symbole du progrès et un catalyseur d’évolutions profondes dans les modes de vie… et dans la gastronomie.
Avec la construction des premières lignes ferroviaires – la toute première reliant Tokyo (Shimbashi) à Yokohama en 1872 – les Japonais se déplacent de plus en plus fréquemment, que ce soit pour le commerce, les études ou les loisirs. Or, qui dit voyage, dit besoin de se restaurer. C’est là qu’entre en scène une innovation culinaire aujourd’hui incontournable : l’ekiben (駅弁), ou bento de gare.
Le tout premier ekiben officiel : un repas simple, mais historique
Le tout premier ekiben officiellement documenté aurait été vendu en 1885 à la gare d’Utsunomiya, sur la ligne reliant Ueno (Tokyo) à Utsunomiya. Proposé par un petit vendeur local, ce bento se composait de riz blanc accompagné de takuan (radis jaune mariné) et d’une umeboshi (prune salée), le tout emballé dans une boîte en bambou tressé. Simple, mais pratique, nourrissant et transportable, ce repas répondait parfaitement aux besoins des voyageurs.
Très vite, l’idée se répand dans toutes les régions du pays. Chaque grande gare – souvent construite au cœur de territoires aux identités gastronomiques fortes – commence à proposer ses propres bentos de gare, préparés par des traiteurs locaux ou des commerçants installés dans les alentours. Ces ekiben deviennent alors des ambassadeurs culinaires régionaux, valorisant les produits locaux, les savoir-faire traditionnels et la créativité des cuisiniers.
Par exemple :
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À Kobe, on sert du bœuf local dans des bentos raffinés.
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À Hokkaidō, on met à l’honneur les produits de la mer : oursins, saumon, crabe.
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Dans le Kansai, on trouve des bentos aux influences plus sucrées ou centrés sur des légumes de saison.
Les boîtes elles-mêmes évoluent : du simple emballage en bambou, on passe à des boîtes en bois décorées, parfois même en céramique, qui deviennent des souvenirs à collectionner. Certains ekiben sont conçus comme de véritables expériences culturelles miniatures, associant esthétique, terroir et praticité.
Plus qu’un simple repas : symbole de fierté régionale
L’ekiben s’impose alors comme bien plus qu’un en-cas de voyage. Il devient :
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un symbole de l’identité locale,
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un outil de promotion touristique,
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et un plaisir attendu du trajet en train.
Acheter un ekiben avant de monter à bord, ou pendant une courte halte, fait partie intégrante de l’expérience ferroviaire japonaise, et ce, dès l’ère Meiji.
Le XXe siècle : entre tradition domestique et industrialisation
Au fil du XXe siècle, notamment après la Seconde Guerre mondiale, le bento prend une dimension intime et familiale, s’intégrant pleinement dans le quotidien des foyers japonais. Il devient le repas que l’on prépare avec soin pour ses proches ou pour soi-même, souvent le matin, avant de commencer la journée. Bien plus qu’une simple préparation culinaire, ce geste est perçu comme une attention précieuse, une marque d’affection et de dévouement, à l’image des plats mijotés du soir.
L’essor des bentos scolaires et professionnels
Dans les écoles, le bento remplace progressivement les repas collectifs. À l’heure du déjeuner, les enfants ouvrent leurs petites boîtes, souvent décorées à l’effigie de leurs personnages préférés, et découvrent le contenu minutieusement préparé à la maison : boulettes de riz, omelette japonaise, légumes en tempura, saucisses découpées en forme de pieuvre…
Du côté des adultes, le bento accompagne aussi la vie professionnelle. Emporté au bureau ou acheté en route, il devient un élément central de la pause déjeuner dans un Japon en pleine urbanisation. La montée des « salarymen » et des étudiantes contribue à renforcer le besoin de repas pratiques, transportables et rapides à consommer.
L’industrialisation : bento, konbini et société moderne
Dans les années 1960–1970, deux innovations technologiques changent radicalement le paysage alimentaire :
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l’apparition du plastique, qui permet de produire en masse des boîtes alimentaires solides, légères, lavables, et bon marché ;
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la généralisation du four à micro-ondes, qui facilite le réchauffage rapide de plats tout prêts.
Dans les années 1980, le bento se réinvente avec le phénomène du kyaraben (character bento), où les aliments sont agencés en formes de personnages, animaux ou figures de mangas. Cette tendance est née de l’envie des mères japonaises de rendre les repas plus attractifs pour leurs enfants, tout en assurant un repas équilibré. Le bento devient ainsi un moyen d’expression artistique et un symbole de la culture kawaii, associée à tout ce qui est "mignon" et "adorable".
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Aujourd’hui : entre tradition, mode de vie sain et minimalisme
Le bento continue de refléter des valeurs japonaises essentielles : soin, équilibre, saisonnalité, esthétique et lutte contre le gaspillage alimentaire. Aujourd'hui, il s'adapte aux attentes modernes des consommateurs.
Écologique : un retour aux matériaux durables
Le bento privilégie les boîtes en bois, bambou et inox, réduisant l'utilisation des plastiques jetables. Ce retour aux matériaux naturels aide à préserver les saveurs et à respecter l’environnement.
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Santé : plus léger et diversifié
Les bentos modernes intègrent davantage de légumes, de protéines maigres, et des options végétariennes ou sans gluten, répondant à des besoins alimentaires plus sains et équilibrés.
Inspiration mondiale : le bento à l'international
Le concept du bento a séduit de nombreuses villes à travers le monde, de New York à Paris, en influençant les lunchboxes modernes. Il incarne à la fois praticité, esthétique et diversité culinaire, devenant un véritable phénomène mondial.
Ainsi, le bento s’adapte aux enjeux contemporains tout en préservant son héritage culinaire.
Bento du déjeuner au BIWAN · la table
Quels petits plats préparer pour son bento ?
Le secret d’un bon bento, c’est l’équilibre entre saveur, texture et praticité. Il ne s’agit pas seulement de remplir une boîte, mais de composer un repas complet, joli à regarder, facile à manger… et qui reste bon même à température ambiante.
Voici quelques idées de petits plats japonais parfaits pour garnir un bento :
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Korokke (croquettes de pommes de terre) : croustillants à l’extérieur, fondants à l’intérieur, ils se mangent facilement froids ou à température ambiante.
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Tamagoyaki : l’omelette japonaise sucrée-salée, moelleuse et roulée, une valeur sûre dans tous les bento !
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Poulet karaage : du poulet mariné et frit, juteux et croustillant, très populaire auprès des enfants comme des adultes.
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Riz à l’umeboshi : le riz est l’élément de base, mais on peut le twister avec une prune salée (umeboshi), des graines de sésame ou un peu de furikake.
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Légumes marinés (tsukemono) : pour une touche acidulée et rafraîchissante qui équilibre les plats frits.
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Mini boulettes teriyaki : faciles à préparer à l’avance, elles se glissent parfaitement dans un coin du bento.
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Salades froides (goma-ae, kinpira) : haricots verts au sésame, carottes sautées au soja… des accompagnements simples mais délicieux.